L’objectif de la bio-impression est triple. Tout d’abord répondre au manque d’organes, dans un pays comme la France où près de 19 000 personnes étaient en attente de greffe en 2013. Mettre fin au phénomène de rejet dû aux greffes classiques en se servant de cellules prélevées directement sur le patient. Enfin, la technique permettra d’éviter les déchets de matière lors d’une opération grâce à la méthode additive (superposition des couches de matière) de l’imprimante qui remplace la méthode soustractive (couper et retirer de la matière, à l’image d’un tailleur de pierre par exemple).
L’étape d’après consiste donc à imprimer des organes complets et fonctionnels, un objectif atteignable sous 20 à 30 ans selon les experts. En 2011, lors d'une conférence TedX à Menlo Park, USA, le chirurgien Anthony Atala a cependant déjà montré l’impression en direct d’un rein. Le médecin le reconnaît lui-même, il n’est pas encore fonctionnel, mais il compte bien y remédier. Penchés sur le sujet, des scientifiques russes se sont fixés jusqu’en 2018 pour franchir le cap de la transplantation.
L'enquête - Partie 2
Du flou juridique
à l'homme immortel
Le monde médical est à l’aube d’une révolution.
En prenant pied dans la sphère médicale, l’impression 3D propulse la médecine dans une nouvelle ère : celle du traitement personnalisé. Une innovation dont le but est simple : répondre à des besoins spécifiques et individuels. Ainsi l'impression 3D permet déjà de créer des prothèses, ainsi que des "modèles chirurgicaux".
Les prothèses sont dites biocompatibles. En clair, elles peuvent être collées ou implantées sur le patient directement. La seule matière biocompatible utilisée actuellement dans le monde de la 3D est le métal (principalement du titane). Par exemple, on peut imprimer une mâchoire en titane biocompatible, et directement l’implanter sur la patient.
En revanche, tout ce qui n’est pas en métal est un “modèle”, qui existe sous deux formes :
Le modèle “représentatif’ permet de créer un objet à partir de sa conception 3D imprimée. Une fois l’objet modélisé à partir d’un logiciel, puis imprimé, on fera un moulage de cet objet et on pourra le recréer à l’identique avec les bonnes matières biocompatibles. Dans le cas d’un d’implant dentaire par exemple, il sera plus facile pour l’épithésiste d’avoir un modèle en main avant de fabriquer le produit final avec les matériaux adaptés.
La seconde forme de modèle imprimé en 3D sert aux simulations. Si un patient est par exemple atteint d’une tumeur au cerveau, il est possible de scanner l’organe tuméfié, puis de l’imprimer. Le chirurgien va alors pouvoir s’entraîner pour l’opération, ce qui minimisera les risques. Et ce, dans des conditions qui s'approchent du réel, le danger en moins.
C'est ce type d'impression que nous avons pu filmer à l'Université de Médecine Paris-Descartes :
L'enquête - Partie 1
Ce qu'elle fait,
ce qu'elle fera
Prototype qui n’est pas compatible avec le corps humain.
Médecin qui crée des prothèses sur mesure.
Focus sur...
L'impression de modèles chirurgicaux
Les vertus de l’impression 3D sont nombreuses. Sa démocratisation permettrait de réduire considérablement les prix d’une prothèse, souvent inabordables. À titre d’exemple, une prothèse de hanche coûte entre 1 500 et 3 000 euros, à quoi s’ajoute le séjour hospitalier pour la pose, qui peut aller jusqu’à... 20 000 euros !
Aux États-Unis, l’impression 3D a déjà sauvé un bébé. Un chirurgien a eu l'idée de modéliser son cœur pour que les praticiens puissent l'analyser avant cette opération à haut risque. Ces maquettes sont aussi très sollicitées par les étudiants, qui bénéficient là d’un entraînement illimité et efficace.
Mais l’impression donne de l’espoir à des projets bien plus ambitieux. Une révolution médicale qui port un nom : la bio-impression.
CRÉER DU VIVANT
Jusqu’alors, c’est dans la science fiction que nous avons pu observer le phénomène de bio-impression. Un monde où des chercheurs peuvent, en 60 secondes, reconstituer par bio-impression le corps tout entier d’une patiente de 22 ans. Une opération réalisée grâce aux cellules retrouvées dans un fragment de son bras après le crash de son vaisseau, qui rapportait sur Terre le Cinquième élément. Vous aurez reconnu le film éponyme de Luc Besson, qui se déroule en… 2263 après J.-C. !
Aujourd’hui, tout est mis en œuvre pour que la médecine régénérative passe de la science-fiction à la réalité. Les chercheurs du monde entier se sont donc lancés un défi : passer de la réparation à la régénération. En d’autres termes, créer du vivant. Le but premier ? Venir en aide aux grands brûlés et aux femmes ayant subi une mastectomie. Comment ? En imprimant de la matière vivante cellulaire, reproduisant couche par couche des tissus, et à terme des organes complets, l’essence même de la bio-impression.
D’ores et déjà, les médecins arrivent à reproduire des ongles, des poils et des cheveux. Les recherches se portent désormais sur la reconstitution de chair et d’os. En France, il n’y a qu’un seul institut qui se penche sur ces recherches : l’Inserm de Bordeaux (Institut national de la santé et de la recherche médicale), spécialisé dans le domaine. Son objectif : récupérer et organiser des cellules souches en vue d’une régénération, grâce à une imprimante 3D laser.
Mais comment procèdent-ils ? La réponse en images :
L'impression par jet d'encre
Comme sur une imprimante classique, la tête d'impression projette des microgouttelettes d’une « encre cellulaire » — un liquide qui contient des cellules.
La Bio-extrusion
Cette technique développée aux USA permet de déposer les cellules via des micro-seringues.
La Bio-impression par laser
(Technique vue à Bordeaux)
Focus sur...
La culture de cellules souches
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le terme “impression 3D” ne figure dans aucun texte de loi sur la bio-éthique, ni dans la moindre loi française. Certes, son utilisation ne peut se faire en dehors du cadre législatif (la contrefaçon, par exemple, est interdite quel que soit l’appareil utilisé). Mais dans le domaine médical, des flous juridiques subsistent, et ouvrent la porte à de nombreuses dérives.
Dans le monde de la chirurgie, il est désormais possible de reproduire le nez de n’importe qui par ordinateur. Nous en avons fait l’expérience avec l'épithésiste Julien Montenero. Dès lors, celui qui souhaite s’emparer d’un élément de votre identité ne rencontrera aucune difficulté. Selon Maître Béatrice Dupuy, avocat au barreau de Marseille, la loi sur le droit à l’image ne peut empêcher cela.
"Sanctionner
pour un nez me parait illusoire"
Béatrice Dupuy, avocate au barreau de Marseille
Mais il y a plus grave que cette “contrefaçon esthétique”. La reconstitution de matière cellulaire (cf focus 2) ouvre la porte à une idée bien plus ancienne, et surtout plus controversée, le fantasme d’un Homme amélioré. Cela ne vous rappelle rien ? L’Homme qui valait trois milliards, série phare des années 80 qui raconte l’histoire d’un homme qui, à la suite d’un grave accident, est remonté de toute pièce, développé et perfectionné.
Ce projet, qui peut paraître complètement fou, est celui d’un courant de pensée bien organisé, et aux membres très prestigieux : le transhumanisme. Des personnalités comme le milliardaire russe Itskov Dmitri ou encore Larry Page, patron et cofondateur de Google, revendiquent leur appartenance au mouvement.
Selon L’Obs de décembre 2014, le géant du web s’est spécialisé depuis 15 ans dans le rachat de start-up portées sur les nano-technologies. L’année dernière, Google a encore investi 2 milliards de dollars dans une structure absolument secrète appelée Google X. Le but de cette division de l’entreprise est clair : fusionner l’Homme et la machine pour le rendre immortel.
Les opposants aux transhumanistes, les “bioconservateurs”, voient en ces recherches un véritable danger sur le plan bioéthique, économique et législatif. Nous avons rencontré Didier Coeurnelle, porte-parole de l’Association Française Transhumaniste - Technoprog, et Louis-Maurice de Sousa, formateur d’enseignants aux nouvelles technologies. Un face à face qui oppose deux conceptions bien distinctes du progrès.
La limite à l'immortalité :
"le cerveau"
Didier Cœurnelle, transhumaniste
Si là encore, l’idée peut paraître folle, elle pourrait avoir des conséquences considérables sur nos sociétés, et l’humanité tout entière. Surpopulation, humanité à deux vitesses… Nos deux intervenants répondent :
Récemment, l’Union européenne s’est attaquée pour la première fois à Google, sur la question du droit à l’oubli. La Cour suprême américaine a également mis en cause le géant du web, sur ses manquements envers le fisc. Mais les pouvoirs publics n’ont jamais pointé du doigt la multinationale sur son projet idéologique et ses mystérieux investissements.
En deux mois, la sécrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire et le ministère de la Santé Marisol Tourraine n’ont pas trouvé le temps de répondre à nos questions. Un entretien en off nous a été proposé dans un premier temps, mais malgré plusieurs relances, celui-ci n’a jamais eu lieu. Un silence qui en dit long sur un sujet qui ne semble pas préoccuper les pouvoirs publics... du moins, pour le moment.
Superposition des couches de matière
Couper et retirer de la matière, à l’image d’un tailleur de pierre par exemple
Il y a ceux qui pourront s'améliorer et ceux qui ne le pourront pas"
Louis-Maurice de Sousa, bioconservateur
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